Mademoiselle Agnès et le turban bleu
- Mais qui est donc cette Mademoiselle Agnès?
- C’est une sorte de rédactrice de mode, Grand-Mère, une journaliste quoi.
En robe longue ? Dans sa cuisine ? Grand-Mère referma le Figaro Madame, soupira et leva au ciel ses yeux creux. On ne cuisine pas en robe de bal ; lorsque nous habitions Lyon nous avions des gens - jamais Grand-mère ne franchit le seuil d’une cuisine. Ni d’un office.
Elle se mit alors à fredonner le Chant des Partisans. Lalalala le cri sourd….lalalala….ton Oncle Hubert était dans les FFI. Nous avons résisté tu sais. J’ai froid aux épaules. Mathilde ! Qu’est ce qu’elle fait cette dinde ? Mathilde ! Elle faisait tourner des bagues lourdes autour de ses doigts décharnés et fixait mes cheveux ras. Tes cheveux sont trop courts. Je n’aime pas ça.
La petite pendule sonna 4 coups. Elle ne la remonte jamais. Elle ne fait
rien bien de toute façon ; Mathilde me fatigue. Mathilde ! Nous ne
connaissions pas les Laval. Jamais. Non jamais.
Je regardai ma montre. Ne pars pas. Tu as besoin d’argent ? Que
voulez-vous Monsieur ?
C’est moi Grand-mère. C’est Room. Tu as besoin d’argent ? J’en ai encore, tu sais. La grosse Mathilde
vint remettre le châle sur les épaules de Grand-mère et manœuvra le fauteuil
roulant, marche arrière, demi-tour droite, direction Question pour un Champion. Je déteste la télévision. Ami entends-tu les
cris sourds du pays qu’on enchaine ? Lala lalala mmm lalalalala c’est l’alarme….Nous
n’avons pas dénoncé. Arrêtez de me pousser idiote ! Tu m’entends Room?
Lala lalala connaîtra le prix du sang et des larmes, lala lalala lalalalala…..Au
revoir Monsieur.
Au revoir Madame.
Grand-mère s’éloigna lentement en crissant des pneus, oubliant le temps où sur ses cheveux tondus elle portait un turban bleu.